Le scarabée pique-prune bloque l'autoroute A-28

Combat-nature n°130, août 2000, pp.42-43


Le Pique-prune bloque l'autoroute A28 dans la Sarthe

par Christophe BEUROIS *

Le dossier de l’autoroute A28 est ouvert depuis les années 1986. Il s’inscrit dans le cadre de la réalisation de l’axe Calais-Bayonne, vieux serpent de mer qui a vu le jour en 1973, sous la poussée des chambres de commerce et d’industrie.

L’A28 est une autoroute concédée qui doit relier Alençon à Tours via Le Mans. D’une longueur de 135 Km, elle double une route nationale existante ( R.N. 138 ) sur l’ensemble de son tracé. Sa vocation initiale était d’offrir un axe lourd nord-sud sur la façade atlantique. Son coût est de l’ordre de 40 millions de franc du Km. L’enquête publique a eu lieu en 1992 et le projet a fait l’objet d’une DUP en 1993.

Malheureusement, ce beau projet est aujourd’hui complétement caduc, à la fois par le développement d’axe parallèle gratuit de gabarit équivalent (autoroute des estuaires ) et son surdimensionnement manifeste. En effet, les prévisions de trafic au sud du Mans sont inférieures à 5 000 véhicules par jour alors que la rentabilité pour ce type d’ouvrage s’envisage autour de 15 000 véhicules par jou. D’autre part, le développement du cabotage côtier sur la façade atlantique est en croissance et conduit à une captation du trafic lourd sur ce même axe.

Comme sur tout ces types de projet, aucune étude alternative sérieuse n’a été faite lors de la définition technique de l’ouvrage et les obligations liées à la Loi d'Orientation sur les Transports Intérieurs (LOTI) notamment ont étés balayées par l’administration centrale.

Un impact lourd sur les milieux naturels

Il est de politique constante de la part des services de la direction des routes, promoteurs de ces projets, de privilégier des fuseaux épargnant aux mieux les zones peuplées et les secteurs agricoles productivistes. En effet, les oppositions sont toujours plus fortes dès qu’on porte atteinte à des zones denses de population ou à des intérêts corporatistes. Ce choix politique conduit bien évidement à implanter ce type d’ouvrage dans des zones de déprises agricoles ou de délaisse biologique.

L’A28 est un cas d’école. Au sud du Mans, le tracé de l’autoroute se situe dans un secteur de toute première importance en terme de biodiversité. On y trouve une richesse exceptionnelle de la faune et de la flore dans un état de conservation remarquable.

Depuis 1992, l’ensemble des associations opposées à l’A28 ne cessent de dénoncer ce choix de sacrifier ces milieux naturels pour un projet inutile en terme d’aménagement du territoire et destructeur pour le maintien de la biodiversité La lutte associative bascule en 1996, suite à la découverte sur le fuseau retenu d’une espèce de grand coléoptère forestier, Osmoderma eremita, strictement protégé par la loi de 1976, la Directive 92/43 dite Habitat et la Convention de Berne. Cette espèce était complètement absente de l’étude d’impact soumise à enquête publique en 1992.

L’état des lieux

En 1996, le collectif d’association a saisi l’Etat de sur cette carence manifeste d’étude d’impact. L’Etat, pour ne pas voir sa DUP remise en cause, décide donc d’une étude d’impact complémentaire et missionne J-M. Luce, expert européen pour l’espèce, sous le couvert du Muséum National d’Histoire Naturelle. Les promoteurs de l’A28 engagent pourtant immédiatement les travaux qui commencent en mars 1997 sur le tronçon nord de l’A28 sans même attendre les résultats de l’étude complémentaire. La Commission Européenne est donc saisie en juillet 1997 de ce manquement de l’Etat à ses obligations, sur le volet Impact et Directive Habitat. A l’ automne 1997, le projet sud est stoppé !

L’étude d’impact est présentée à l’automne 1999 et ne fait que confirmer la position des associations. Les sites Sarthois sont de toute première importance pour la conservation de l’espèce en Europe. A ce titre, la France ne peut plus s’affranchir de ses obligations de conservation au titre de la Directive Habitat. L’impact de l’A28 est lourd notamment sur trois points :

- destruction directe des vieux arbres dans l’emprise de l’autoroute ;
- destruction par les travaux connexes, notamment les remembrements agricoles ( 350 hectares par kilomètre linéaire ) ;
- effet de coupure des habitats ( le Pique-prune est une espèce peu mobile et sensible au fractionnement de son territoire ).

Au vu de cette étude, le ministre des transport adopte en novembre 1999 une attitude mi-chèvre mi-choux. Tout en rappelant le caractère indispensable de cet ouvrage ( pour moins de 5 000 véhicules par jour, on croit rêver ), il indique que l’A28 ne pourra se réaliser que dans le strict respect de la Directive Habitat. Il indique donc qu’une procédure de classement Natura 2000 devra être conduite dans la Sarthe pour répondre aux impératifs de conservation mais qu’un redémarrage des travaux serait possible au sud du projet, c’est à dire à Tours. La tactique habituelle est reconduite. On prend en tenaille les points de résistance, coupant court à toute solution alternative. Aujourd’hui, les procédures de « concertation » ont donc repris en Touraine avec une programation de travaux pour 2001.

Les enjeux et les perspectives

Osmoderma Eremita est une espèce prioritaire au titre de la Directive Habitat. Dans son article 6, cette directive fixe des contraintes fortes dès qu’un projet d’aménagement est de nature à modifier les équilibres de son habitat prioritaire. Les seuls motifs recevables sont ceux liés à la santé publique, la sécurité nationale ou un bénéfice majeur pour l’environnement. La recherche de solutions alternatives doit bien évidement être un préalable à toute réflexion. D’éventuelles dérogations peuvent être accordées par la Commission Européenne si le projet est d’un intérêt public majeur.

D’évidence, le projet A28 est incompatible avec cet article de la directive. En effet, aucune étude alternative n’a été conduite de façon sérieuse, notamment celle du réaménagement de l’axe existant. Cette solution est la seule qui permet de s’affranchir des contraintes mis en avant par l’étude d’impact complémentaire. La modernisation de l’axe existant ne crée pas d’effet de coupure supplémentaire, se situe dans ce cas d’espèce en dehors des habitats et ne nécessite pas de travaux connexes ( remembrement, travaux hydraulique... )

Quand à l’intérêt public majeur de l’A28, il sera bien évidement indéfendable au regard de son trafic de moins de 5 000 véhicules par jour et des solutions alternatives de bon sens existantes.

Depuis le mois de novembre 1999, une étude est lancée dans la Sarthe sur les périmètres Natura 2000 liés à la présence du Pique-prune. Dans ce cadre, les périmètres représentatifs des habitats Pique-prune proposés fin mars incluent les territoires concernés directement par l’A28. La superficie totale des propositions est de l’ordre de 20 000 hectares.

Au regard du droit communautaire, la marge de manoeuvre des promoteurs de l’A28 est nulle quand à leur obligation de rechercher des solutions alternatives à leur projet mégalomane.

Le Collectif de Réflexion et d’Alternative à l’A28,depuis 10 ans sur ce dossier, poursuit des objectifs clairs :

- obtenir l’abandon de l’A28 et le réaménagement de la route nationale existante ;
- mettre en oeuvre une politique de conservation des milieux naturels du sud Sarthe ;
- établir une jurisprudence fondamentale dans le cadre du développement durable, c’est à dire conditionner la faisabilité d’un projet de développement à la prise en compte des milieux naturels, y compris la notion de fractionnement des territoires ;
- mettre en oeuvre un projet de développement durable des territoires basé sur la valorisation des richesses naturelles ( plan LIFE, tourisme, Agri-environnement, CTE...).

Aujourd’hui, nous pensons que tous les éléments sont réunis pour réorienter le projet A28 vers un aménagement de l’axe routier existant, solution plus respectueuse de l’intérêt général en respectant à la fois la prise en compte des milieux naturels, la nécessité d’une liaison routière de qualité sans aggraver le déficit de notre politique autoroutière. Ce serait en tout cas une belle mise en musique de la notion de développement durable.

 

 

Notre ami le Pique-prune

Ce scarabée, Osmoderma Eremita ou Pique-prune (1), vit dans les vieux feuillus, âgés d’au moins 150 ans, dans une niche écologique préparée par un cortège d’autres espèces animales et végétales. La préparation de cette niche peut demander 70 ans de travail pour l’ensemble de la chaîne biologique associée. La caractéristique de ce scarabée est donc d’être un bio-indicateur de la qualité des milieux naturels On estime que de 700 à 1 000 espèces sont associées à l’habitat du Pique-prune. On voit donc tout l’intérêt de sa conservation qui conduit à préserver un cortège biologique aussi important.

D’autre part, ce coléoptère saproxylique vit à l’état larvaire pendant 3 ans dans ces grosses cavités ( pouvant atteindre 2 m3 ). Ces grosses larves se nourrissent du bois périphérique des cavités et déstructurent ainsi les matières ligneuses, permettant aux autres organismes vivants de transformer le bois dur en humus. C’est à ce titre un maillon essentiel du cycle biologique des milieux forestiers ou bocagers.

(1) voir "Le Pique-prune recycleur de la forêt" par Daniel Prunier, Combat-Nature n° 129 - Mai 2000, page 18.

 

 

  • Contacts :

    - Les Verts Sarthe, 124, rue Chnazy, 72000 Le Mans. Tél. : 02 43 78 27 81.
    - Sarthe Nature Environnement, 120 bis, rue Chanzy, 72000 Le Mans. Tél. : 02 43 41 48 44.
    - Médiation & Environnement, La Mercerie, 72800 Savigné sous le Lude. Tél. : 02 43 45 84 33

* Membre du Collectif de Réflexion et d'Alternative à l'A28, Le Chêne Creux, 61420 Livaie. Tél. : 02 43 45 23 65. Site : http://www.chez.com/piqueprune

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