Le scarabée pique-prune bloque l'autoroute A-28

LE QUOTIDIEN

Le scarabée, l'autoroute et le ministre

Faut-il renoncer à construire une partie de l'autoroute A28 à cause de la présence d'un coléoptère rare et protégé? Le ministre des Transports doit trancher.

Par CATHERINE COROLLER

Le vendredi 13 août 1999


 
 

PHILIPPE MURARO
C'est dans ce châtaigner de la forêt sarthoise que fut découverte une colonie de scarabées pique-prunes.
Pique-prune et bitume ne font pas bon ménage. On le savait déjà, mais le Pr Jean-Marie Luce, du Muséum d'histoire naturelle, vient de le confirmer. Dans son rapport sur les conséquences de la construction de l'autoroute A 28 sur les populations sarthoises des espèces de coléoptères protégées par la directive européenne 43/92, que Libération s'est procuré, le Pr Luce est formel: si cet axe est réalisé, ce scarabée, l'Osmoderma eremita, n'y survivra pas. De fait, qui dit tracé d'une autoroute dit réorganisation des parcelles agricoles, donc arrachage d'arbres et notamment de vieux feuillus, habitat privilégié de ce scarabée. «L'impact négatif prévisible des remembrements [...] sera très fort et clairement incompatible avec le maintien de l'habitat de l'espèce dans un bon état de conservation», écrit Jean-Marie Luce.

Coupure. Par ailleurs, le passage d'une autoroute induit un «effet de coupure». «Rien ne dit que ces insectes soient capables de voler au-dessus de 60 mètres de bitume surchauffé», déclarait Jean-Marie Luce le 22 janvier à Libération. Or «l'examen des sources bibliographiques consultées montre qu'il s'agit là d'une conséquence majeure d'une infrastructure linéaire importante, écrit le scientifique dans son rapport. Les nombreuses espèces d'invertébrés [...] risquent d'être particulièrement affectées: les rares études disponibles montrent qu'elles sont particulièrement sensibles à l'effet de coupure et que les passages à faune conçus jusqu'à présent sont pour elles inadéquats». La seule solution: tout arrêter. Et la France a d'autant moins le choix que le pique-prune, dont il ne reste que quelques spécimens en Suède, en Grèce et au Pays basque, est protégé par une impressionnante batterie de règlements (Convention internationale de Berne, directive européenne habitat de juin 1992 et décret français de juillet 1993). Si l'Etat français décidait de poursuivre le chantier, il se mettrait donc en infraction avec la réglementation européenne et sa propre loi, bref, il risquerait des sanctions et des recours devant les tribunaux administratifs, où il serait sûr de perdre.

Bâclée. Retour en arrière. En 1993, le ministère des Transports autorise la construction de cette autoroute. Elle doit notamment relier Alençon au Mans et à Tours. L'étude d'impact est bâclée, et aucun «état zéro de l'environnement» n'est dressé, ce que regrette aujourd'hui Jean-Marie Luce dans son rapport. Les associations écologistes se mobilisent car l'A 28 traverse notamment «sur 8 km le massif forestier de Bercé, qui est un milieu très intéressant en termes de biodiversité», rappelle le militant Vert Christophe Beurois. Plutôt que cette percée, dévastatrice, en pleine nature, les écologistes préconisent un réaménagement de la nationale 138. Cette solution leur apparaît d'autant plus raisonnable que, d'après leurs calculs, l'A 28 sera déficitaire, vu la faiblesse du trafic prévisionnel (moins de 5 000 véhicules par jour au sud du Mans). Mais l'Etat et les hommes politiques locaux partisans des grands travaux autoroutiers refusent d'en entendre parler. Et puis, un jour d'août 1996, «il y a un type qui se pointe en Mobylette dans une des manifs et qui nous dit qu'il a trouvé, au sein du massif, une espèce protégée: le pique-prune», rappelle Christophe Beurois. Postier de son état, le sauveteur est entomologiste amateur. Accompagnés d'un représentant de l'Etat et du Muséum d'histoire naturelle, les écologistes vont faire leur propre repérage sur le tracé de l'autoroute. Et, «coup de bol, on en a effectivement trouvé», triomphe le militant. Près d'une balise rose fluo qui matérialise la future voie, une petite colonie de pique-prunes a élu domicile dans le creux d'un vieux châtaignier dont elle boulotte le bois pourrissant. Pour les écologistes, la découverte est inespérée. Face à l'Etat et aux politiques locaux, ils disposent enfin d'un argument imparable puisque le pique-prune est intouchable. Aussitôt, l'administration ordonne l'arrêt des travaux. Entre Le Mans et Ecommoy, une trentaine de kilomètres seulement ont été terrassés. Au sud de ce bourg sarthois, la végétation est intacte. Débarque alors le Pr Luce, spécialiste français du pique-prune. Pendant deux ans, il a arpenté 318 hectares et répertorié 525 arbres, qui lui «ont paru pouvoir être considérés comme réalisant, au moins potentiellement, l'habitat de l'espèce».

Avis. Il y a quelques jours, Jean-Marie Luce a remis son rapport au ministre de l'Environnement. Mais celui-ci ne peut que rendre un avis. Seul Jean-Claude Gayssot, le ministre des Transports, peut décréter l'abandon du chantier. Reste que cette décision n'est pas facile à prendre. «Ils sont dans une impasse noire. Ils ne veulent pas de jurisprudence de ce type-là», affirme Christian Beurois. Reculer est d'autant moins évident que le concessionnaire, Cofiroute, risque de demander des dommages et intérêts. Mais les écologistes proposent une porte de sortie. «On est des grands garçons, on sait bien qu'on ne peut pas laisser les choses en l'état, et que les agriculteurs qui attendent les remembrements qui ont été suspendus il y a deux ans n'ont pas à payer les pots cassés des décisions inconsidérées de l'Etat». Si le ministère des Transports abandonne le projet d'autoroute au sud du Mans, les écologistes s'engagent à convaincre leurs camarades Verts de Bruxelles de laisser construire la portion d'autoroute située au nord. «C'est dommage, je sais, mais au sud, les milieux sont encore plus remarquables», reconnaît Christophe Beurois.



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