LA POLITIQUE AUTOROUTIERE FRANCAISE
RESUME

CHAPITRE II - LE PROCESSUS DE DECISION

Les décisions de construction de grandes infrastructures de transport comme les autoroutes comportent des enjeux majeurs compte tenu de leurs coûts de construction et plus encore, s’agissant d’infrastructures de longue durée de vie dont certains effets sont irréversibles, de leur impact sur l’aménagement du territoire. Elles posent, de surcroît, le problème de l’arbitrage entre deux demandes difficiles à concilier voire contradictoires : d’une part, la demande croissante de transport liée à l’augmentation de la mobilité des personnes et au développement des échanges et d’autre part les préoccupations grandissantes de préservation de l’environnement.

C’est pourquoi ces décisions requièrent une évaluation préalable approfondie des projets et une concertation poussée à tous les stades de la procédure afin d’éclairer les choix et de garantir la transparence de la prise de décision.

Dans ses rapports publics de 1990 et 1992, la Cour avait critiqué les insuffisances du processus de planification des infrastructures et de l’évaluation des projets et souligné la nécessité de clarifier les critères de décision.

Ce constat reste très largement d’actualité tant en ce qui concerne la planification des infrastructures que la conduite des projets autoroutiers.

SECTION I - LA PLANIFICATION DES INFRASTRUCTURES AUTOROUTIERES

La planification des infrastructures autoroutières s’inscrit dans le cadre des schémas directeurs routiers nationaux successifs. Ainsi qu’il a été noté, les dispositions de la loi d’orientation des transports intérieurs du 30 décembre 1982 sur la définition d’une politique globale des transports demeurent inappliquées. L’évaluation approfondie des partis d’aménagement et la concertation avec le public sont renvoyées au stade ultérieur de l’examen des projets et ne portent pas sur les grandes options du choix du type d’infrastructure.

Jusqu’à présent, faute de débats fondés sur une analyse approfondie des besoins de transport et des réponses les mieux adaptées, sur une base intermodale et en comparant, au sein même du mode routier, les scénarios d’aménagement, la planification des infrastructures autoroutières procède de façon empirique en réponse aux demandes des élus des collectivités territoriales. Le parti d’aménagement autoroutier résulte souvent, comme on le verra de la volonté de satisfaire ces demandes, dans des délais rapides, incompatibles avec les disponibilités budgétaires.

Les schémas directeurs routiers successifs se sont inscrits dans une logique de développement structurant par l’offre de transport. Selon cette conception, les investissements n’ont pas seulement à anticiper le développement de la demande de transports mais jouent un rôle déterminant dans le développement économique..

Préparé par les services de la direction des routes, le schéma directeur routier est approuvé par décret après avis des régions, des comités régionaux des transports et du conseil national des transports. Son élaboration ne s’est jusqu’à présent pas appuyée sur une analyse préalable approfondie de la rentabilité économique et sociale des projets retenus. De surcroît, le processus de décision fait une bien moindre place à la concertation que dans nombre d’autres Etat européens. La France est l’un des rares pays de l’Union européenne où le Parlement n’est pas consulté pour les schémas de transport.

En outre, des adjonctions sont opérées de façon informelle sans respecter la procédure de révision du schéma directeur. Alors qu’elles ne figurent à aucune rubrique du schéma directeur routier national (pas même au titre de l’aménagement des routes nationales), certaines de ces liaisons ont même été inscrites au schéma routier transeuropéen.

Le schéma directeur n’est, au demeurant, pas un document de programmation : La hiérarchie des priorités établie par le document arrêté en 1992 reste d’ailleurs des plus floues.

La décision, prise en novembre 1993 d’accélérer la réalisation du schéma directeur routier approuvé le 1er avril 1992, a conduit à lancer en moyenne 260 km par an alors que la moyenne annuelle avait été de l’ordre de 185 km entre 1980 et 1993. Les lancements de 1994 à 1997 correspondent à un rythme annuel encore supérieur, voisin de 330 km, si l’on prend en compte des liaisons qui ne figurent pas au schéma directeur : Au 30 juin 1998, sur les 9 535 km d’autoroutes de liaison inscrites au schéma directeur, 7 310,3 km soit 76,7 % étaient en service et 820,7 km (8,6 %) en travaux.

La France se situe au troisième rang de l’Union européenne en nombre de km et au neuvième rang en longueur de réseau si on rapporte la longueur du réseau à la superficie du territoire ou à la population. Elle se trouve au même niveau que le Royaume-Uni en terme de maillage du territoire (kilomètres d’autoroutes par kilomètres carrés) alors que sa densité démographique est deux fois plus faible, au même niveau que l’Allemagne ou les Pays-Bas pour ce qui est du nombre de kilomètres d’autoroutes par habitant.

La France dispose d’un réseau routier particulièrement dense et dont la qualité est reconnue. Cependant au sein même du mode routier, le cloisonnement des financements et les faiblesses des procédures de coordination nuisent à la cohérence de la politique routière. Faute de réflexion globale sur les besoins de transport, le développement du réseau autoroutier concédé et celui du reste du réseau national s’opèrent de façon non coordonnée et aboutissent à des investissements en partie redondants avec une autoroute à péage et une route nationale mise à 2 x 2 voies au tracé parfois plus direct. Par ailleurs, le budget de la direction des routes a privilégié jusqu’à 1998 le développement de nouvelles liaisons au détriment de l’entretien, de la réhabilitation et de la mise en sécurité du réseau existant. Le coût prévisionnel de l’entretien n’est en pratique pas pris en compte lors des décisions d’investissement sur des voies nouvelles.

En outre, contrairement aux prescriptions de la LOTI, l’articulation entre le réseau national et les réseaux des collectivités territoriales demeure insuffisante (voir page 68).

Dans la perspective du projet de loi sur l’aménagement et le développement durable du territoire, le schéma directeur routier national a vocation à être refondu dans le cadre des schémas de services de transport.

SECTION II - LA CONDUITE DES PROJETS

La conduite des projets est assurée sous la responsabilité des services de l’équipement selon une procédure qui, compte tenu de la complexité des dossiers et de l’importance des enjeux, s’étend souvent sur une dizaine d’années entre les premières études et la mise en service.

En dépit de certaines améliorations, la coordination entre les administrations demeure insuffisante. L’instruction mixte à l’échelon central (IMEC), dont les modalités sont fixées par des textes anciens, est organisée à un stade très avancé de la procédure alors que le tracé autoroutier est déjà enserré dans une bande de 300 mètres. L’IMEC est engagée concomitamment à l’enquête publique préalable à la déclaration d’utilité publique. Le tracé soumis à l’enquête publique peut, de ce fait, donner lieu à un avis défavorable de certaines administrations lors de l’IMEC. Cette pratique, rend en outre sans objet le contrôle de l’étude d’impact présentée à l’enquête publique par l’administration centrale de l’environnement. La prise en compte insuffisante des enjeux environnementaux dans la phase amont d’élaboration des projets favorise les contentieux et conduit à des retards de réalisation pour aboutir à des compromis souvent peu satisfaisants.

La concertation avec le public n’intervient encore le plus souvent qu’à un stade avancé de la procédure. Dans une circulaire du 19 décembre 1992, le ministre de l’équipement avait décidé de " préciser les conditions d’un débat transparent et démocratique pour la conception et la réalisation des grandes infrastructures décidées par l’Etat  ". La qualité des débats organisés en application de la circulaire précitée est contestée par les services du ministère de l’aménagement du territoire et de l’environnement qui estime notamment que le champ du débat est fréquemment restreint, sans réel examen de propositions alternatives. Surtout, le niveau juridique du texte, une simple circulaire, est peu contraignant. La loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement confère force législative à l’organisation d’un débat public en amont des décisions d’aménagement. Cependant, il a fallu attendre le 10 mai 1996 pour qu’intervienne le décret d’application qui indique que la procédure de débat public est applicable à l’ensemble des opérations présentant un fort enjeu socio-économique ou ayant un impact significatif sur l’environnement. La commission nationale du débat public n’a été installée que le 4 septembre 1997. Jusqu’à présent, la consultation du public n’intervient systématiquement qu’à un stade avancé du processus de décision, celui de l’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique alors que les principaux choix ont d’ores et déjà été arrêtés.

Les projets autoroutiers sont instruits et décidés de façon trop fractionnée, ce qui peut porter préjudice à la rationalité et à la transparence des décisions.

De surcroît, les études qui doivent éclairer la décision de réalisation de l’infrastructure manquent fréquemment de rigueur et de transparence. Les études préalables aux décisions de l’Etat relatives aux partis d’aménagement sont fréquemment confiées à ceux-là même (bureaux d’étude liés aux groupes de BTP, sociétés d’autoroutes) qui ont le plus intérêt à ce que le projet autoroutier soit réalisé. Les calculs de rentabilité socio-économique demeurent sommaires et souvent pas même explicites. Les hypothèses qui les sous-tendent - valeur du temps, prévisions de trafic, coûts prévisionnels - sont fréquemment dépourvues de fiabilité et ne sont pas réajustées. Les modèles utilisés ne rendent pas bien compte de la complexité des données; les méthodologies adoptées pour apprécier la valeur du temps sont encore aléatoires; les modèles de trafic n’intègrent pas de façon suffisamment fine les trafics induits et les interférences entre itinéraires. Le calcul des avantages retenus par le bilan socio-économique aboutit donc à multiplier l'une par l'autre des données présentant une forte marge d'incertitude sans que des études de sensibilité soient menées et sans recourir à une méthode de scénarios contrastés. Les avantages ainsi calculés sont rapportés à des coûts qui se révèlent nettement sous-estimés, en particulier par les études d’avant-projet sommaire (APS) sur lesquelles se basent les décisions. En moyenne, pour les opérations mises en service entre 1987, l’on constate une augmentation des coûts de 30 % entre l’estimation initiale de l’APS et la mise en service due pour près de la moitié à des sous-estimations de l’APS.

L’instruction jointe à la circulaire de la direction des routes du 20 octobre 1998 prévoit désormais diverses dispositions de nature à améliorer la qualité des études telles que l’établissement systématique d’études de rentabilité financière, l’analyse de la saturation et de l’impact potentiel de mesures de gestion du trafic et la prise en compte de l’incertitude.

Cette volonté de réforme est positive et sa mise en œuvre demandera à être suivie avec attention.

RECOMMANDATIONS DE LA COUR SUR LE CHAPITRE II

- En ce qui concerne les projets d’infrastructures dites d’aménagement du territoire, privilégier les solutions alternatives (aménagement du réseau existant et construction de voies rapides) moins coûteuses que les autoroutes.

- Assurer la coordination des services de l’Etat, en particulier dès le stade des études préliminaires du projet autoroutier et du choix du fuseau du kilomètre, notamment en réformant l’instruction mixte à l’échelon central.

- Instituer une procédure d’autorisation globale des travaux après la déclaration d’utilité publique.

- Mettre en œuvre les décrets d’application de la loi sur le débat public pour mieux organiser la concertation avec le public.

- Assurer une meilleure information du Parlement sur la politique des transports, les programmes autoroutiers et la situation financière des sociétés concessionnaires.

- Remédier aux insuffisances des études préalables et, en particulier, mieux évaluer les incidences des projets sur l’environnement et prendre en considération au plus tôt les conséquences financières des textes existants.

- Assurer la transparence du choix des hypothèses de travail et la fiabilité des études sur lesquelles se fondent les décisions d'investissement : hypothèses de trafic, situation de référence, critères divers, etc...

- Assurer la régularité des procédures relatives à la réalisation des études par le SETRA.

- Disposer d’un logiciel de prévision des trafics rénové et adapté pour s’assurer de la validité des hypothèses retenues et donner des bases plus solides aux calculs de rentabilité des projets.

- Assurer l’exploitation optimale du réseau et notamment privilégier l’utilisation plus efficace du réseau autoroutier concédé, par exemple en adaptant et en diversifiant la tarification.

- Remédier à la sous-évaluation des coûts par l’intégration des coûts externes, la réduction des marges d’erreur au stade de l’APS et la meilleure maîtrise de l’exécution des travaux.

(suite...)
Cour des Comptes23-06-1999