LA POLITIQUE AUTOROUTIERE FRANCAISE
RESUME

CHAPITRE III - L'IMPACT ECONOMIQUE ET ENVIRONNEMENTAL

Postulant que les grandes infrastructures de transport induisent le développement économique, la loi d’aménagement du territoire du 4 février 1995 et le schéma directeur routier fixaient pour objectif un maillage homogène de l’ensemble du territoire " quels que soient les trafics constatés ". Les effets induits sur l’activité économique et l’aménagement du territoire justifiaient ainsi la construction de tronçons durablement non rentables sur des sections à faible trafic.

Cependant, les bilans a posteriori des investissements autoroutiers font apparaître qu’il n’y a pas de relation d’automaticité entre la mise en service d’une autoroute et le développement local et que les effets socio-économiques sont souvent moins favorables qu’annoncés à l’échelle des territoires traversés. Cependant que l’incidence sur l’environnement dépasse généralement les prévisions de l’étude d’impact présentée à l’enquête publique.

SECTION I – LA PORTEE DES ENGAGEMENTS DE L’ETAT

Afin de limiter les effets indésirables de l’infrastructure autoroutière sur l’environnement et sur le tissu économique et social, l’Etat s’engage à prendre à l’issue de l’enquête publique, un certain nombre de mesures correctives ou compensatoires et à mettre en place une procédure de suivi. La portée de ces engagements doit être fortement relativisée. En réalité, nombre des dispositions présentées dans le dossier des engagements de l’Etat n’ont d’autre valeur que celle d’une pétition de principe.

SECTION II - LE SUIVI 

Les obligations de suivi n’ont été que très partiellement respectées. L’article 14 de la loi d’orientation des transports intérieurs dispose que, lorsque les opérations des grands projets d’infrastructures sont réalisées avec le concours de financements publics, un bilan des résultats économiques et sociaux doit être établi au plus tard cinq ans après leur mise en service et que ce bilan doit être rendu public. Ces dispositions étaient restées sans suite. Aussi, la circulaire du ministre de l’équipement du 15 décembre 1992, relative à la conduite des grands projets nationaux d’infrastructures, a réaffirmé l’exigence d’un suivi et d’un bilan. A ce jour, aucun bilan n’a encore été rendu public en dépit des prescriptions de la loi et de son décret d’application. Cependant un certain nombre d’observatoires économiques ou écologiques ont été mis en place, à partir des années 78-80, anticipant les procédures de bilan et de suivi introduites par la LOTI. Les travaux de ces observatoires corroborent les rares bilans établis en application de la LOTI tant en ce qui concerne les effets sur l’économie des zones traversées et l’aménagement du territoire que l’impact sur l’environnement.

SECTION III - L’IMPACT ECONOMIQUE

Comme l’indique une étude du ministère de l’équipement et des transports, les effets ne sont pas identiques en tous lieux. Ils dépendent du potentiel économique des zones desservies, de la diversité du tissu économique, du degré de réaction des entreprises et des mesures prises par les décideurs publics locaux qui cherchent à maximiser les effets positifs et à atténuer les effets négatifs .

La desserte routière ne constitue pas le critère déterminant de localisation des entreprises : l’infrastructure autoroutière n’intervient qu’en quatrième ou cinquième position parmi les critères de localisation cités par les entreprises après la présence de main-d’œuvre qualifiée, la nature du tissu économique, la proximité d’un centre urbain et les facilités d’installation liées aux mesures incitatives offertes par les acteurs publics. Cependant " toutes choses égales par ailleurs, de mauvaises conditions de desserte peuvent constituer un facteur de rejet du site ".

L’autoroute, pour un même temps de parcours par rapport à l’état initial, permet aux entreprises et aux individus d’accéder à une offre élargie de biens et de services. Elle élargit les aires de marché.

Cependant, l’augmentation des facilités de déplacement intensifie la concurrence. La mise en service d’une liaison autoroutière accroît notamment les aires de chalandise des grandes surfaces au détriment des petits commerces. De façon générale, les études a posteriori font apparaître que les infrastructures autoroutières renforcent les pôles d’activité les plus dynamiques au détriment des centres moins importants.

SECTION IV - L’IMPACT SUR L’ENVIRONNEMENT

Le renforcement des normes législatives et réglementaires et les exigences accrues de l’opinion publique ont conduit les sociétés concessionnaires à accroître leurs dépenses afin de réduire l’impact des infrastructures autoroutières sur l’environnement : dispositifs visant à préserver la qualité des eaux et des milieux aquatiques le long de l’autoroute (bassins de filtration), mesures anti-bruit (remblais de terre, écrans, protections de façade, nouveaux enrobants sur les surfaces de roulement), passages pour la faune sauvage, traitement paysager des ouvrages et des remblais.

Les travaux des observatoires et les bilans établis en application de l’article 14 de la LOTI et de la circulaire du 15 décembre 1992 font toutefois apparaître que l’effet des infrastructures autoroutières sur l’environnement dépasse généralement ce que prévoyait l’étude d’impact présentée lors de l’enquête publique. Cette étude se limite en effet aux conséquences prévisibles directes et à court terme du tracé autoroutier. Elle n’aborde que de façon allusive les effets indirects tels que ceux du remembrement induit par la construction de l’autoroute. Elle ne traite pas, sauf exception, des emprunts et dépôts corrélés aux travaux autoroutiers qui peuvent pourtant avoir un impact paysager ou écologique fort (extraction de matériaux en roche massive ou dans des sites alluviaux, remblaiement de zones humides ...) mais font l’objet de procédures distinctes. Or, les travaux des observatoires écologiques et les bilans a posteriori font apparaître que " l’impact de la construction d’une autoroute dépasse largement les emprises de l’ouvrage et se manifeste de façon multiforme avec un enchaînement complexe d’événements interactifs pour lesquels les effets indirects sont finalement plus importants que les incidences directes (...). L’ampleur des réactions en chaîne que déclenche la construction d’une autoroute dépend de la sensibilité du milieu ".

Les travaux des observatoires et les études de bilan établies en application d’une circulaire du 15 décembre 1992 du ministre chargé de l’équipement et des transports concluent que " l’idée que l’on peut régler tous les problèmes doit être définitivement écartée ".

- Les mesures mises en œuvre pour supprimer ou réduire les conséquences dommageables du projet sur l’environnement sont délicates à mettre en œuvre. Leur efficacité est conditionnée, notamment pour les mesures concernant la faune, non seulement par la qualité des aménagements mais aussi par les précautions prévues avant et pendant la durée du chantier, ainsi que par la gestion des ouvrages et les mesures d’accompagnement Mais ces dernières conditions sont souvent perdues de vue d’autant que certaines ne relèvent pas de la responsabilité du maître d’ouvrage. Si l’ensemble de ces conditions ne sont pas respectées, les dépenses engagées au titre de ces ouvrages ne produisent pas les effets escomptés.

- Les mesures dites " compensatoires ", pour utiles qu’elles soient, ne sont le plus souvent pas à la hauteur des dommages.

- Les effets de l’infrastructure dépassent largement l’emprise autoroutière notamment du fait du remembrement induit. Dans la pratique la superficie remembrée atteint jusqu’à 25 à 30 fois celle de l’emprise. Les dossiers des engagements de l’Etat comportent souvent des dispositions quant à la conservation des haies. Pour autant, le maître d’ouvrage comme l’Etat sont impuissants à faire respecter ces dispositions. En effet, le maître d’ouvrage ne fait que financer l’opération qui est conduite par une commission communale ou intercommunale où prévalent les considérations agricoles. La direction des route reconnaît que l’incidence des travaux annexes et des remembrements est " un problème important sur lequel l’Equipement, comme l’Environnement ont peu de prise ".

- L’autoroute, selon les cas, déclenche des évolutions ou accélère des tendances préexistantes à l’appauvrissement biologique ou à la disparition des milieux naturels, liées à la modification des pratiques agricoles, à l’extension des zones d’activités, au développement des autres infrastructures.

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Globalement, les travaux des observatoires et les études de bilan mettent en évidence l’absence préjudiciable de politique globale replaçant l’infrastructure dans une plus large perspective à tous les stades du processus de décision : choix du type d’infrastructure et du tracé, détermination des mesures d’accompagnement nécessaires.

Le manque d’évaluation préalable des plans et programmes a déjà été relevé. C’est pourtant au cours de cette phase que seraient le plus efficacement pris en compte les enjeux d’aménagement du territoire et de préservation de l’environnement. Faute qu’il en ait été ainsi, les réalisations révèlent après coup, et souvent de façon irréversible, toutes leurs faiblesses et leurs inconvénients.

Au stade du projet, la faiblesse ou le manque de coordination entre les divers intervenants dans le cadre des territoires traversés et le défaut de prise en compte des interactions, se révèlent préjudiciables tant du point de vue économique que du point de vue de la préservation de l’environnement La procédure du 1 % paysage et développement n’apporte qu’une réponse partielle à ces problèmes.

RECOMMANDATIONS DE LA COUR SUR LE CHAPITRE III

- Donner une portée concrète aux engagements que l’Etat prend à l’issue de l’enquête publique.

- Etablir et publier les bilans prévus par la LOTI et les décrets pris pour son application.

- Prendre les mesures d’accompagnement destinées à réduire les conséquences négatives qu’entraînent les infrastructures autoroutières, en particulier dans le domaine de l’environnement.

- Prendre en compte les enjeux relatifs à la préservation de l’environnement, de manière plus globale et dès que le stade de l’étude des plans et programmes; s’efforcer en particulier, de maîtriser les effets induits en matière d’aménagement foncier et notamment de remembrement.

- Mieux concevoir les aménagements à caractères écologique et assurer le suivi de leur efficacité, de leur entretien et de leur gestion.

(suite...)
Cour des Comptes23-06-1999